Après plusieurs semaines de discussion, le projet de loi « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience », dite loi Climat et résilience, a été soumise à un vote solennel ce mardi 4 mai 2021 à l’Assemblée nationale.
L’objectif affiché par le gouvernement français est de traduire « les dispositions de nature législative recommandées par la Convention citoyenne pour le climat », dont plusieurs portaient sur la régulation publicitaire. La Convention, composée de 150 citoyens tirés au sort, a travaillé depuis octobre 2019 à des propositions – 149 au total – en faveur de la transition écologique.
Rappelons aussi que l’examen de ce projet de loi intervient dans un contexte marqué par de nombreux débats sur la capacité de la filière publicité à prendre sa part dans la transition écologique et sur l’augmentation des cas de greenwashing.
Durcir la lutte contre le greenwashing
Quelques jours avant le lancement des travaux parlementaires, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) – organisation au cœur du dispositif d’autorégulation chargée de définir les règles déontologiques et de les faire appliquer – a publié cinq « engagements pour renforcer l’efficience de la régulation professionnelle de la publicité ».
Ces déclarations n’ont visiblement pas convaincu les députés puisque plusieurs amendements venant modifier le dispositif d’autorégulation, durcir la lutte contre le greenwashing et renforcer l’information des Français ont été adoptés en première lecture du projet de loi à l’Assemblée nationale. Les sénatrices et sénateurs vont maintenant se saisir du dossier, avant une deuxième lecture par les député·e·s.
En attendant de savoir si ces dispositions seront retenues dans le texte de loi définitif, il est intéressant d’analyser leur portée.
Les énergies fossiles dans le viseur
L’amendement n°5045 porté par Aurore Bergé (LaREM), co-rapporteuse du projet de loi, interdit les « publicités relatives à la commercialisation et faisant la promotion des énergies fossiles », alors que le texte initial ne mentionnait que la « vente » des énergies fossiles.
Le terme de « commercialisation » regroupe un champ plus large que la vente « puisqu’il inclut toutes les techniques commerciales, de vente, mais aussi de promotion et de location. »
Cet article de loi interdit donc les publicités pour le pétrole ou le charbon (qui sont assez rares) mais aussi celles pour le gaz naturel (plus fréquentes).
Pour les autres secteurs, les députés de la majorité ont décidé de faire confiance aux acteurs de la filière communication et publicité : des « codes de bonnes conduites », avec des objectifs clairs et des indicateurs de suivi, seront adoptés par les entreprises pour réduire les publicités relatives à des produits ayant un impact significatif sur le climat et l’environnement. Le Conseil Supérieur de l’audiovisuel sera chargé d’en vérifier l’application effective.
Pas touche à la pub pour les SUV
Cela reste en deçà des attentes des citoyens de la Convention et de nombreux députés qui contestent l’efficacité d’engagements volontaires et souhaitaient voir étendre cette interdiction aux produits les plus polluants, comme les véhicules thermiques les plus gros (SUV, 4×4).
Ces propositions ont été rejetées ; voici les arguments avancés par Aurore Berger aux députés :
« Si vous considérez que ces produits sont néfastes, alors proposez des mesures d’interdiction de commercialisation de ces produits, mais n’imputez pas à la publicité l’interdiction de pouvoir dire tout simplement que ces produits existent. »
Réduire les financements des médias en interdisant certaines publicités serait « prendre un risque majeur sur le pluralisme de l’information », « après une crise sans précédent ».
🏛 "Sur la publicité, nous devons lutter contre le blanchiment écologique, permettre que les consommateurs fassent des choix éclairés avec un affichage environnemental mais pas favoriser le report des investissements vers les GAFA."🌱 pic.twitter.com/YLfe6TfIt4
— Aurore Bergé (@auroreberge) April 1, 2021
Le greenwashing reconnu « pratique commerciale trompeuse »
L’amendement n°5419, également déposé par Aurore Bergé et adopté par l’Assemblée, permet de reconnaître comme « trompeuse » toute pratique commerciale qui consiste à « laisser entendre ou à donner l’impression qu’un bien ou un service a un effet positif ou n’a pas d’incidence sur l’environnement ou qu’il est moins néfaste pour l’environnement que les biens ou services concurrents ».
Cet amendement vise à renforcer les sanctions « en cas de pratique de greenwashing ou blanchiment écologique » : « le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 80 % des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique constituant ce délit. »
Selon l’avocate Clémentine Baldon, qui a récemment listé les outils juridiques pour lutter contre le greenwashing, cet amendement ne devrait pas en soi faciliter les actions contre les allégations environnementales trompeuses puisqu’elles étaient déjà possibles sur le fondement de l’interdiction des pratiques trompeuses.
En revanche, il met un coup de projecteur sur le greenwashing et pourrait inciter la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et les juges à davantage se saisir du sujet.
Ainsi, la perspective de sanctions financières et d’une médiatisation plus forte des décisions devrait inciter les annonceurs et leurs agences à davantage de prudence dans leur usage de l’argument écologique.
La mention « neutre en carbone » interdite
L’amendement n°4981, porté par Patrick Mignola (MoDem) et adopté par l’Assemblée, complète le Code de l’environnement par un article sur la « publicité sur les produits et services ayant un impact excessif sur le climat ». Il est formulé ainsi :
« Est interdit, dans une publicité, le fait d’affirmer à tort qu’un produit ou un service est neutre en carbone, dépourvu de conséquences négatives sur le climat, ou toute autre formulation ayant une finalité et une signification similaires. »
Cet amendement crée donc une interdiction de publicité pour des biens et services qui se prétendraient « neutre en carbone », même quand l’allégation est sous-tendue par le recours à la « compensation carbone ».
Il s’inscrit dans la continuité de l’avis sur la neutralité carbone rendu récemment par l’Ademe, qui rappelle que ce type d’allégation ne trouve aucun fondement scientifique, suggère indûment une absence totale d’impact négatif et influence négativement le consommateur en minimisant l’impact de ces biens ou services sur le climat.
Face à cette possible interdiction, de nombreuses marques vont être contraintes de revoir leur discours et leur positionnement.
Finis les slogans publicitaires comme « Netflix + Environnement = Objectif net zéro carbone avant la fin de 2022 », « Neutralité carbone à vie en partenariat avec le WWF – VELUX Sustainability Strategy 2030 », « La Poste s’engage pour la neutralité carbone », « Le chauffage au gaz par Butagaz, c’est 100 % compensé carbone, sans surcoût », « Vols neutres en carbone » Easyjet, etc.
Davantage de transparence
Cette interdiction va permettre de clarifier les discours des entreprises sur les actions qu’elles mettent en place pour réduire réellement et drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. L’enjeu étant de les réduire de 95 % d’ici 2030, si l’on veut limiter la hausse des températures à 1,5 °C fixé par l’Accord de Paris.
De clarifier aussi les investissements que les entreprises peuvent (et doivent) faire par ailleurs, pour soutenir la transition agroécologique, durable et résiliente de territoires situés notamment dans les pays en développement.
L’enjeu est ici d’abandonner la vision arithmétique de la « compensation carbone » pour adopter une approche écosystémique qui privilégie les bénéfices environnementaux et sociaux sur le long terme.
La création d’un « éco-score »
Par ailleurs, la loi valide la création d’un « éco-score » pour afficher l’impact sur l’environnement et le climat de tous les biens et services, à l’issue d’une phase d’expérimentation d’une durée maximale de cinq ans (les modalités en seront précisées par décret).
Cet affichage pourra être rendu obligatoire selon les secteurs, sur décision de l’exécutif, et en priorité « pour le secteur du textile d’habillement, ce secteur ayant déjà engagé un travail avec l’Ademe depuis plusieurs années », selon l’amendement n°7185 déposé par Nathalie Sarles (LaREM), qui a été adopté par les députés.
Cette interdiction de laisser croire aux consommateurs qu’il existerait des produits et services « zéro carbone » ou « zéro pollution » et l’affichage d’un éco-score constituent une avancée importante en faveur de l’information des publics, qui pourront alors plus facilement orienter leurs comportements d’achat sur un critère du moindre impact environnemental.
Mathieu Jahnich, Chercheur-consultant indépendant - Marketing, communication et transition écologique, Sciences Po
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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